Qu’est-ce que ça fait de tuer un homme ? C’est ce thème sombre qu’a choisi de traiter le réalisateur chilien Alejandro Fernandez Almendras dans son film “Tuer un homme”. A l’occasion de son passage à Paris, il répond aux questions d’Allociné.
AlloCiné : Pourquoi Tuer un Homme ?
Alejandro Fernández Almendras : L’idée m’est venue d’une sorte de télé réalité. Il y avait ce père de famille qui avait fait 20 ans de prison après avoir tué l’homme qui harcelait sa famille. Lorsque le journaliste lui a demandé s’il referait là même chose, le père a répondu : « Certainement pas. Vous n’avez pas idée de ce que c’est que de tuer un homme ». Mon film, montre ce qu’il se passe après la revanche, lorsque le corps est froid. Parce que c’est là, que les choses se compliquent.
Les images et l’atmosphère du film ajoutent beaucoup à la tension du thème. Comment avez-vous choisi les lieux ?
Alejandro Fernández Almendras : C’est assez étrange, mais j’ai l’habitude de tourner mes films dans des endroits que je connais. Par exemple pour celui-ci, c’est un lieu où j’allais en vacances enfant. Il y a quelque chose d’unique dans cet endroit où la mer laisse place à une forêt de pins. C’est sauvage, magnifique et menaçant en même temps. Pour la lumière, je n’en ai pas utilisé. Pour les nombreuses scènes la nuit, on a beaucoup misé sur les lumières des lampadaires par exemple qui ont un rendu jaune, presque orange. Ça me faisait penser à ce tableau de Pieter Brueghel, Le triomphe de la Mort. Le fond des enfers !
La musique a une grande place dans le film mais elle s’équilibre avec de nombreux moments de silence. Comment avez-vous dosé entre les deux ?
Alejandro Fernández Almendras : Dans la plupart des films, la musique arrive avant ou pendant l’action. Elle est faite pour amplifier ce qui est en train de se passer à l’écran ou même pour prévenir que quelque chose va arriver. Dans Tuer un Homme, le personnage est totalement seul dans l’action, et le spectateur, confronté à cette solitude. Pour moi, la musique ne doit pas donner une émotion mais accompagner le sentiment que la scène vient de procurer.
Comment s’est construit le rythme du film ?
Alejandro Fernández Almendras : Le film est construit en ellipse. Lorsque l’on redécouvre la famille deux ans plus tard, c’est une nouvelle maison, et le couple est divorcé, mais il faut du temps pour que le spectateur comprenne cela. De petites pièces construisent le puzzle au fur et à mesure. C’est un rythme différent que l’habituelle histoire chronologique où l’on sait exactement ce qui va se produire.
Vous montrez dans ce film l’impuissance des institutions face au harcèlement de cette famille. Vouliez-vous dénoncer quelque chose ?
Alejandro Fernández Almendras : Ce que je montre dans le film est bien mieux que la situation réelle au Chili en fait. Là-bas, la police n’aurait absolument rien fait pour cette famille qui n’a pas d’argent. Je ne voulais pas démontrer quelque chose à propos des institutions chiliennes, si ce n’est que dans certaines circonstances, personne ne peut vous aider. Face à un personnage comme Kalule, il n’y a rien à faire, c’est une tragédie, une malédiction pour la famille.
Qu’est ce qui selon vous pousse un homme, un père de famille, sans histoire, à tuer un homme ?
Alejandro Fernández Almendras : Il y a plusieurs raisons qui poussent Jorge à tuer Kalule. Evidemment, d’abord parce qu’il veut que sa famille retrouve la paix, mais c’est aussi sa masculinité qui est remise en question. Sa femme lui répète qu’il n’est pas assez fort parce qu’il fait tout ce qu’elle dit sans broncher. Il est presque forcé de tuer, pour se conformer aux attentes de sa femme et de la société en général. La société lui impose d’être fort, macho de protéger sa famille, sinon c’est un lâche. Le spectateur aussi veut que Jorge passe à l’acte. Toute la première partie du film, on a envie de le pousser : « sois un homme, tue-le ! ».
Comment avez-vous construit le personnage de Jorge ?
Alejandro Fernández Almendras : Le personnage s’est un peu construit de lui-même. La première partie montre son état de désespoir. Ensuite, le personnage m’échappe. Il s’enferme dans un autre monde et je ne comprends plus moi-même ses réactions parce qu’il est trop loin de moi. Cela explique la seconde partie, plus imaginaire, presque comme un rêve. Il s’est perdu. C’est ce que ressent le spectateur aussi : il est soulagé que Jorge ait tué Kalule, mais il se rend vite compte que cacher le corps et vivre avec n’est pas si simple. Finalement, en tuant un homme, Jorge s’est tué lui-même.
Que voulez-vous que les gens retiennent de ce film ?
Alejandro Fernández Almendras : Qu’ils ont passé un moment épouvantable et qu’ils viennent juste de se réveiller d’un cauchemar (rire) ! Tuer un homme, ce n’est pas joyeux. Et ce qui ajoute au stresse c’est qu’il n’y a pas d’excès de violence, les choses horribles qui arrivent sont simplement évoquées et cette évocation est bien plus effrayante et troublante que de voir 100 hommes se faire déchiqueter à coup d’effets spéciaux. Tout est « trop » réel. A la fin des projections (Sundance, Rotterdam, La Rochelle,…) les spectateurs avaient beaucoup de questions, ils étaient un peu mal à l’aise et voulaient savoir si leur ressenti était juste ou pas. C’est bon signe.
Des nouveaux projets à venir ?
Alejandro Fernández Almendras : Quelque chose de plus léger peut être. J’ai cinq projets à l’esprit dont trois scénarios déjà bouclés. On cherche les financements. Donc, si je suis très chanceux, il y aura 3 nouveaux films d’ici la fin de l’année prochaine. L’un est une sorte de distopie un peu bizarre, du genre fin du monde. Et un autre, une comédie musicale entre la fiction et le biopic d’un célèbre groupe des années 80 en Amérique latine.
Qu’est-ce qu’on vous souhaite ?
Alejandro Fernández Almendras : De la chance… et beaucoup d’argent !
En savoir plus sur “Tuer un homme”
Tuer un homme Bande-annonce VO