Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence, le nouveau film du maître suédois Roy Andersson, sort ce mercredi 29 avril en France. Rencontre avec un cinéaste à part… et un vrai artisan du plan cinématographique.
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AlloCine : L’inspiration pour ce film vous est venue par hasard un jour, alors que vous cherchiez des idées pour un scénario, un pigeon s’est posé sur le rebord de votre fenêtre…
Roy Andersson : J’étais assis dans ma cuisine, dans une maison du Sud de la Suède, en train de plancher sur ce film. Tout à coup je lève les yeux et vois un pigeon sur ce rebord, à quelques centimètres à peine de moi. Il avait l’air de réfléchir à quelque chose… (Rires) Je suis persuadé qu’il songeait à son existence, à comment survivre un jour de plus. Ces animaux ne peuvent avoir qu’une vision à très court terme. La perspective temporelle n’existe pas pour eux.
Faut-il avoir une philosophie à court terme dans la vie ?
Nous vivons avec cette philosophie. Nous ne savons pas ce que le lendemain nous réserve. Il ne faut pas blâmer les gens de penser ainsi. C’est dans l’ordre des choses. Les enfants vivent dans l’instant présent, cherchent des réactions immédiates, et ça leur suffit. Les adultes ont des responsabilités, parfois qui les dépassent, comme l’avenir du monde, de la nature. De fait, il devient impossible, voire dangereux, de ne se projeter que dans le court terme. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que c’est le court terme qui régit réellement ce monde.
Ce qui est amusant avec vos films, c’est justement que vos scènes s’inscrivent toujours dans la durée, dans le temps… justement pour montrer la réalité de ce court terme !
C’est un sacré paradoxe ! (Rires)
J’ai longtemps été jaloux de la peinture.
Et ces durées de scènes ouvrent de belles perspectives cinématographiques, notamment parce qu’elles enregistrent le temps qui passe. Est-ce que l’on pourrait considérer cela comme une définition de votre cinéma ?
C’est intéressant… mais qu’une partie de la vérité. Pendant longtemps j’ai été jaloux de la peinture. Les spectateurs peuvent rester face à un tableau pendant des heures et des heures. Les films ne laissent pas cette possibilité aux gens. On ne reste pas planté devant un film pendant des heures et des heures. C’est un art de la fugacité. En tout cas, peu de films ont cette capacité. J’ai longtemps été jaloux de cette qualité intrinsèque à la peinture.
Vous dites que peu de films ont ce pouvoir. Pouvez-vous m’en citer un qui a eu cet effet sur vous ?
Il y a certains plans de Luis Buñuel que je peux voir et revoir et pendant longtemps. Dans Viridiana, il y a une scène avec des mendiants magnifique. Les personnages y sont représentés comme dans La Cène de Leonard De Vinci… C’est absolument magnifique.
Faire durer une scène chez vous, c’est souffler au spectateur que, finalement, tout peut arriver, surtout quelque chose d’inattendu, un accident… Et cela peut parfois déboucher sur une situation comique… ou sur une réflexion philosophique.
C’est très bon d’entendre cela…
En 40 ans de carrière, vous avez réalisé très peu de films. Cinq au total. Là encore vous prenez votre temps…
La vérité c’est que… mon second film (ndlr : Giliap en 1975) a été une catastrophe financière et critique. Après cet échec, personne ne voulait travailler avec moi, d’autant plus qu’on a fait de moi le bouc émissaire de ce naufrage financier, me rendant responsable des dépassements de budget. Ce différend avec le producteur m’a fait prendre conscience qu’il fallait que je sois indépendant, en achetant par exemple une caméra. C’était mon premier objectif et cela m’a pris quelques années pour le remplir. Je ne pensais pas bien sûr que ça allait me prendre plus de 20 ans avant de refaire un film (ndlr : Chansons du deuxième étage, en 2000). Pendant ce laps de temps, j’ai tout de même travaillé, j’ai réalisé des publicités qui m’ont permis d’acheter du matériel, des projecteurs et même un studio. Cela a pris du temps. Tellement de temps ! Mais ça valait le coup ; j’ai pu réaliser cette trilogie (ndlr : Chansons, Nous les Vivants et Un Pigeon perché), des films que je n’aurais jamais pu réaliser en n’étant pas indépendant. Je peux donc retirer quelque chose de positif de cette trop longue attente.
Depuis ce retour, il se passe 7 ans entre chacun de vos films…
J’ai besoin de temps pour faire un film. Et notamment pour construire les décors, dont certains sont particulièrement complexes. Et j’attache beaucoup d’importance au placement des objets dans ces décors, ainsi qu’à la place des personnages. Je songe à la distance entre les objets, à ce qui sépare le personnage du mur… Cela me prend du temps de déterminer la place de chaque élément dans un décor. Si on bouge la position d’une chaise face à une fenêtre, cela engendre quelque chose de complètement différent ! Il faut trouver la position parfaite. La seule position possible, en réalité.
Pour chacune de vos scènes, vous pensez sincèrement qu’il ne peut y avoir qu’un seul positionnement de votre caméra ?
Oui. Je le crois vraiment. (Rires) Je ne trouve pas cet angle rapidement. Je sens très facilement lorsqu’une caméra n’est pas bien placée. Mais une fois que j’ai trouvé, je suis persuadé en mon for intérieur que la caméra ne pouvait être placée que “là.”
Une des thématiques de vos films est de montrer comment l’Homme vit. Et comment son existence peut parfois être totalement absurde…
Mon thème principal est en effet la vulnérabilité de l’Homme. Vous savez, je suis touché, profondément touché par les humiliations que peuvent parfois endurer les gens. Il y a plusieurs degrés d’humiliations. A la guerre par exemple, des choses terribles peuvent arriver. C’est malheureusement aussi le cas dans la vie normale. Cela me brise le coeur. L’humiliation est la chose la plus insoutenable dont je puisse être témoin.
Vos films montrent aussi à quel point nous pouvons être déconnectés les uns des autres. Encore une de vos thématiques de prédilection ?
Oui. Et cet éloignement est tellement dommage. Je ne vois pas non plus comment il pourrait en être autrement. Là encore, je trouve cela insupportable. Mais les coeurs, les gens changent.
Avez-vous conscience d’avoir une place à part dans le cinéma mondial ? Un statut presque “culte”, que l’on peut rattacher à votre style si particulier et aussi la rareté de vos films…
Pas vraiment… ou plutôt j’en prends de plus en plus conscience peut-être. (Rires) Je ressens un peu plus de respect année après année. Mais cela prend du temps encore une fois ! Pendant longtemps je me suis considéré comme un cinéaste peu intéressant, sans doute parce que je n’avais pas beaucoup de succès. Peut-être ai-je pris un peu plus de confiance après Un Pigeon perché justement, même si je pense que l’on ne peut jamais être pleinement satisfait de son travail. Quand on considère ce qu’il est possible créativement de faire, on se rend compte qu’on est toujours loin de l’objectif. Avec plus de ressources et de temps, je pourrais faire de bien meilleurs films.
Pendant longtemps je me suis considéré comme un cinéaste peu intéressant.
Maintenant que vous avez terminé “Un Pigeon perché”, quand peut-on espérer le prochain ? Dans 7 ans, à nouveau ?
Dans 4 ans ! (Rires) Après Nous les vivants, j’ai fait une pause de 3 ans… mais là j’ai déjà commencé à travailler sur le prochain. Je le considère comme le 4ème épisode de ma trilogie ! (Rires) Je n’ai pas encore de titre mais la thématique sera l'”infinité.” Rien n’est jamais fini.
La bande-annonce ahurissante du Pigeon perché :
Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence Bande-annonce VO
Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le 8 avril 2015