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L’Exorciste sur TCM Cinéma : l’histoire rocambolesque autour de la voix du démon

“L’Exorciste” est diffusé ce soir sur TCM Cinéma. L’occasion de revenir sur la manière dont William Friedkin a procédé pour créer la voix démoniaque sortant de la bouche du personnage de Regan… Et les péripéties qui ont suivi.

L’Exorciste de William Friedkin

Avec Linda Blair, Ellen Burstyn, Max von Sydow…

De quoi ça parle ? En Irak, le Père Merrin est profondément troublé par la découverte d’une figurine du démon Pazuzu et les visions macabres qui s’ensuivent. Parallèlement, à Washington, la maison de l’actrice Chris MacNeil est le théâtre de phénomènes étranges : celle-ci est réveillée par des grattements mystérieux provenant du grenier, tandis que sa fille Regan se plaint que son lit bouge. Quelques jours plus tard, une réception organisée par Chris est perturbée par l’arrivée de Regan, qui profère des menaces de mort à l’encontre du réalisateur Burke Dennings. Les crises se font de plus en plus fréquentes…

S’il est, indéniablement, l’un des films d’horreur les plus célèbres de tous les temps, L’Exorciste a aussi été un succès commercial extraordinaire, en rapportant pas loin de 400 millions de dollars dans le monde via sa sortie en salles (pour un budget d’à peine 12 millions !). Comme tout chef-d’oeuvre ayant fait date dans l’histoire du cinéma, le long métrage a connu un processus de conception particulièrement mouvementé : du tournage en Irak à la diffusion en salles, en passant par la post-production laborieuse. Parmi ces différentes étapes, la création de la voix du démon s’est avérée, elle aussi, très complexe, et a engendré un conflit important au moment de la sortie du film. Explications.

CONCEVOIR LA VOIX DU DÉMON : UN DÉFI DE TAILLE

Une fois le tournage de L’Exorciste achevé, William Friedkin est passé au montage. Une étape délicate puisque le cinéaste avait, en sa possession, pas loin de quarante heures de pellicule ! Durant cette phase de post-production, un des nombreux défis auxquels il a dû faire face a été de trouver la voix du démon. La jeune comédienne Linda Blair avait enregistré ses répliques mais Friedkin voulait restituer cette fameuse voix démoniaque (“rude, puissante, profonde, assourdissante”, telle qu’elle est décrite par le romancier William Peter Blatty) avec celle d’une fillette de douze ans.

Dans un premier temps, William Friedkin a pensé faire appel à l’un de ses amis, Ken Nordina, un spécialiste des expérimentations sonores. Ce dernier a alors fourni au réalisateur un son démoniaque à partir de sa propre voix. Mais il s’agissait d’une voix d’homme, ce que Friedkin ne souhaitait pas (selon lui, une voix masculine ne pouvait pas émaner de la bouche de la jeune actrice, même si son personnage est possédé).

Il se rappela alors des drames radiophoniques des années 1940 qui l’avait marqué durant ses jeunes années. Certains grands noms du cinéma pouvaient y être entendus, comme Orson Welles ou Peter Lorre. Il y avait aussi une certaine Mercedes McCambridge, charismatique Emma Small dans le western féministe Johnny Guitare (1954) qui avait obtenu un Oscar pour sa prestation dans Les Fous du roi (1949). Si sa carrière est impressionnante, c’est surtout sa voix “neutre plutôt que masculine ou féminine”, qui avait marqué Friedkin (Source : “Friedkin connection. Les Mémoires d’un cinéaste de légende”).

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DU WHISKY, DES OEUFS CRUS ET DES CIGARETTES ! 

Le metteur en scène la rencontra et lui montra un pré-montage de L’Exorciste. Mercedes lui dit alors, avant d’accepter : “Laissez-moi vous parler un peu de moi. Je suis catholique. J’étais aux Alcooliques Anonymes et j’ai aussi fumé pendant 30 ans. J’ai deux amis qui sont prêtres. Si je fais ce que vous me demandez, j’aurais besoin de leurs conseils et de pouvoir les consulter à tout moment. Pour obtenir le son que vous désirez, il me faudra boire du bourbon, fumer et faire d’autres choses que je n’ai pas faites pendant des années.” Lorsque Friedkin lui expliqua qu’il ne souhaitait pas qu’elle aille aussi loin, l’actrice répondit : “Ne vous inquiétez pas. Ce qui compte, c’est que vous obteniez le résultat que vous recherchez, mais il faudra que nous ayons confiance l’un en l’autre, et je n’ai aucune idée du temps que cela prendra.”

Mercedes McCambridge a donc, durant trois semaines, travaillé sur ce doublage en prenant les choses particulièrement au sérieux : elle a voulu s’asseoir avec ses mains et ses pieds attachés à une chaise et souhaitait que les noeuds soient resserrés aux moments où le personnage de Regan souffre. Toute la journée, la comédienne buvait du whisky, fumait des cigarettes et mangeait des oeufs crus…

Friedkin se rappelle : “La combinaison des trois lui donnait une voix gutturale, à la sonorité menaçante. Parfois, elle ne faisait que respirer près du micro et on pouvait entendre 3 ou 4 sons de respiration différents sortir de sa gorge. McCambrigde produisait des bruits, des rires ou des cris que je mixais ensuite dans la bande son ou que je dédoublais sur plusieurs pistes. Nous enregistrions 10 heures par jour et nous ne nous arrêtions que quand Mercedes disait qu’elle en avait assez.”

A la fin, Mercedes McCambridge demanda à Friedkin (qui était aux anges devant le travail accompli) que son nom n’apparaisse pas au générique, pour ne pas faire de l’ombre à la performance de la jeune Linda Blair.

Faux Raccord Emissions Bonus

 

UNE COLLABORATION FRUCTUEUSE DONNANT NAISSANCE… Á UN CONFLIT

Lors de l’avant première de L’Exorciste, à Los Angeles, où Friedkin s’était bien évidemment rendu en compagnie d’une grande partie du casting, Mercedes surgit et l’interpella. Cette dernière était en pleurs et hurla, tout en lui tirant le bras : “Tu m’as baisée, comment as-tu pu me faire ça, à moi ?” Le réalisateur lui demanda quel était le problème et elle répondit : “Tu m’as promis que je serais créditée au générique ! Où est mon nom ? Tu m’as menti ! Tu me le paieras, Bill Friedkin !” La comédienne raconta alors, à Variety et au Hollywood Reporter, que Friedkin avait refusé de mettre son nom au générique pour protéger la performance de Linda Blair. Au même moment, Eileen Dietz, la doublure cascades de cette dernière (apparaissant à l’écran pendant 28 secondes), cria elle aussi au scandale en expliquant qu’elle avait partagé le rôle du démon avec la jeune actrice.

Selon Friedkin, il s’agissait de mensonges éhontés de la part des deux comédiennes. Toujours dans l’ouvrage “Friedkin connection. Les Mémoires d’un cinéaste de légende”, il explique comment les choses se sont ensuite déroulées : “Dietz fut effectivement nommée au générique, et Warner décida de refaire la dernière bobine du film en y insérant le nom de McCambridge. (…) Elle méritait d’être créditée au générique, je n’ai donc eu aucun problème avec cela. Mais quand, quelques années plus tard, CBS Network diffusa le film à la télévision et demanda que les répliques du démon fassent l’objet de quelques modifications, j’ai fait le doublage moi-même en produisant mon meilleur grognement de Pazuzu.” Pour le réalisateur, les actions de McCambridge et Dietz ont fait beaucoup de tort à la prestation de Linda Blair, et donc au film en général :

“La performance de Linda fut remise en question et c’est, je crois, ce qui lui a coûté l’Oscar. La vieille garde d’Hollywood cherchait par tous les moyens d’empêcher L’Exorciste d’être trop acclamé. Ce n’est pas la rancoeur qui parle. Mon ami Jack Haley Jr. produisait la cérémonie des Oscars cette année-là. Il me confia qu’il se disait parmi les membres influents de la communauté que si ‘L’Exorciste recevait le prix du meilleur film, cela allait changer l’industrie pour le pire et à jamais.'”

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